Tintin, c’était un petit âne, tout gris, avec des sabots très doux, et tout noirs. Il avait deux jolies oreilles qui pendaient un peu, et un gros museau, tout noir aussi, et très doux, comme ses sabots. Je cachais son museau contre mon cou, une de ses oreilles recouvrait son oeil, marron, brillant… et je m’endormais.
Tintin, c’était ma peluche, mon doudou.
Même quand j’ai arrêté de sucer mon pouce, Tintin était là. Il connaissait tous mes secrets, il me consolait…
Tintin, c’est mon enfance.

Un jour de Mai 1962, au milieu de l’agitation que je ne comprenais pas, mon père est entré dans ma chambre. Je ne comprenais pas bien ce qui se passait, juste, qu’on allait partir en France, et très vite !
Il fallait choisir ce qu’on amenait avec nous, car on ne pouvait tout mettre dans l’avion. et il m’a demandé de choisir les jouets que j’allais emmener.

Grande effervescence dans la maison ! Tout seul, dans ma chambre, j’ai rassemblé les jouets que j’aimais le plus… C’était pas facile, car je les aimais bien tous ! Mais bon, papa l’avait demandé. Je n’arrivais pas trop à décider, et mon père est revenu dans ma chambre, il avait l’air très énervé. Il a regardé mon petit tas de jouets, et il a dit
c’est trop… et puis ça, c’est tout cassé ! Ton cow-boy là, il lui manque le bras (c’était Jo, il se battait drôlement bien !), et le camion, là, je viens de t’en acheter un neuf…(ben, oui, mais…) et ton vieux machin, là ! (il parlait de mon Tintin) laisse le, et prends celui que tu as eu à Noël !

Mais Tintin était pas vieux ! Il sentait bon, il sentait mon dodo, mes rêves…
Mais je n’ai pas su dire ce que je voulais vraiment…
Voilà, ça s’est passé comme ça…

On me disait
-  qu’on allait tout retrouver, une fois qu’on serait en France… qu’il n’y avait pas le temp… et qu’il fallait prendre l’avion ! Parce que c‘était l’indépendance , et qu’on allait tous être tués ! 

Je ne comprenais rien, sauf que ça faisait peur !
Je me souviens des cris, dans l’escalier de l’immeuble, dans la voiture… et tout ce monde dans l’aéroport ! Dans l’aérogare, au milieu des cris, des bruits, des gens qui allaient dans tous les sens, des bagages qui s’entassaient de partout, mon père m’a pris à part, et m’a expliqué qu’il ne partait pas avec nous pour s’occuper d’envoyer toutes nos affaires en France. Il m’a regardé, droit dans les yeux, et m’a dit, comme s’il s’adressait à un homme

« Je te confie ta mère et ta soeur, c’est toi qui les protège maintenant! ».

Ça m’a fait un peu oublier mon chagrin, et j’ai accepté la mission.
Quelques mois plus tard, mon père nous a rejoint en France… sans nos affaires. Nous avons tout perdu…

Je crois que j’ai vécu des années, comme une espèce de vieux GI perdu sur une île du Pacifique, toujours en mission parce qu'il ne sait pas qui ne sait pas que la guerre est terminée depuis des lustres. Je crois que je suis toujours resté en guerre. Je crois que j’ai fait durer cette « mission » le plus longtemps possible, parce que, comme le petit garçon dans l’aéroport, ça me faisait passer le chagrin… d’avoir abandonné mon Tintin, là-bas…
Je ne me rappelle même pas si j’ai eu le temps de lui dire au revoir… de lui faire un bisous… de le rassurer, de lui dire que je reviendrais le chercher… Je ne sais pas ce qu’il est devenu, ce qui lui est arrivé. Je ne sais pas s’il m’a attendu, s’il m’attend encore… mon petit Tintin.

Je ne l’ai pas sauvé…

Ce soleil de mon enfance… Je l'ai enfin arraché des cartes postales de la boîte à souvenir, pour le faire briller, de nouveau, dans un coin de ma petite tête. Ses rayons, irradient, peu à peu, vers mon coeur, la chaleur des vrais souvenirs… les miens.
Ces larmes, que je ne peux éviter, ne me font pas mal, elles ont le goût de la rosée, que l’on trouve au coeur des boutons d’or.
Cette rosée fait une petite boule de liquide, qui semble ne pas pouvoir s’étaler, et reste posée sur les pistils.
C’est parce que les pétales sont recouverts d’une fine poussière d’or sur laquelle rien ne peut accrocher.
Cette poussière d’or est pour les enfants.
Quand ils ont cueilli ces jolies fleurs, ils ont les doigts tout colorés de ces paillettes...
Leurs yeux se mettent à briller, et un joli sourire se dessine sur leur visage…

Boutons d’or, fleurs de mon enfance, petites gouttes de soleil…

Rémy-Laurent Kraft  textes extraits de "Couscous brochettes"

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